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Développement urbain en Allemagne de l'Est après 1990 Lorsque le Mur est tombé,
en novembre 1989, sous la poussée de la révolution pacifique de RDA [1], deux États allemands se sont
fait face: la République fédérale d'Allemagne, basée sur l'économie sociale
de marché, et la
République démocratique allemande [2], fonctionnant selon le système de l'économie planifiée
socialiste. Le 3 octobre 1990, les cinq nouveaux Länder [3] décident de leur rattachement
à la République fédérale par le traité
d'unification [4]. Au
contraire des États d'Europe de l'Est en situation de transition, la R.D.A.
est ainsi devenue partie intégrante d'un système déjà existant. Les citoyens
est-allemands se sont vus brusquement confrontés à de considérables bouleversements
[5] politiques, économiques
et sociaux. Une forte vague d'émigration et le
recul de la natalité [6]
reflètent le
sentiment général de désorientation de la population [7] durant les années suivant la réunification.
Ce malaise est encore renforcé par la compression massive de l'emploi
[8] et le démantèlement des
structures sociales. Ce tournant
historique, que les Allemands appellent "Wende", a marqué aussi un
changement radical dans l'évolution des villes est-allemandes. L'économie
planifiée a été remplacée par l'économie de marché, l'autorité étatique a
cédé la place à la démocratie et les instances planificatrices, disposant
jusque-là de droits étendus sur les sols urbains, ont été soumises aux réglementations
régissant la propriété privée [9].
Le passage d'une "ville de type socialiste à une ville de type
capitaliste" (Häußermann 1996) a été marqué
par des difficultés qui résultaient en partie de la situation de départ :
La
réalisation de ces tâches s'est révélée difficile, en raison du contexte de
base spécifique de cette première phase de transformation. D'une part, il a
été décidé d'étendre la législation de R.F.A. relative à la planification aux
nouveaux Länder, au lieu de créer une réglementation spéciale. La nouvelle Loi sur les actions
[15] (Maßnahmengesetz)
n'a répondu que de façon insuffisante à cette situation historique
d'exception. D'autre part, les nouveaux Länder manquaient de personnel administratif
adéquatement qualifié [16]
capable d'appliquer immédiatement les dispositions législatives. En
conséquence, on a fréquemment confié, au niveau des collectivités locales,
les postes-clé à des experts ouest-allemands, ce qui a suscité chez beaucoup
de citoyens est-allemands l'impression d'être l'objet d'une
colonisation [17]. Ce sentiment [18] s'est renforcé encore par la façon dont
on a procédé au règlement de la question des situations de propriété foncière
non éclaircies, en particulier par l'application du principe de "restitution primant sur
l'indemnisation" [19] (Rückgabe vor Entschädigung). Au moment de la chute du Mur, environ 40
% des sols et 41 % des logements de R.D.A. étaient propriété publique (Volkseigentum). La reprivatisation
des valeurs de capital - accomplie entre autres par l'Office de privatisation et de restructuration de l'ancienne R.D.A. [20] (Treuhandanstalt) - a
constitué l'une des conditions essentielles au développement d'une économie
de marché opérante. De plus, le législateur s'est vu dans l'obligation morale
d'indemniser les propriétaires illégitimement expropriés. Les demandes de
restitution de constructions et de terrains ne procédaient pas seulement de
la politique d'expropriation menée par la R.D.A. entre 1949 et 1989, mais
également des pratiques d'expropriation nazies envers les biens
fonciers Juifs [21]. La Loi sur la fortune [22] (Vermögensgesetz) adoptée en 1990 permettait aux anciens
propriétaires de poser une demande de restitution de leurs biens. Le principe de restitution [23] (Rückgabeprinzip) a
représenté en fait pour le développement urbain en Allemagne de l'Est l'une
des réglementations les plus difficiles à gérer. Dans les tous nouveaux Offices de règlement des questions de fortune encore en suspens [24] (Ämter zur
Regelung offener Vermögensfragen), se sont accumulées près de 2,2 millions de demandes de restitution de
biens fonciers. Bien que le législateur se soit efforcé de créer un cadre
juridique fonctionnel [25], on a mis des
années à régler la plus grande partie des questions de propriété [26]. Comme les terrains et bâtiments ne pouvaient être ni
vendus, ni réaménagés jusqu'au règlement final, les communes est-allemandes
ont dû beaucoup patienter pour pouvoir effectuer des investissements, ce qui
a eu de considérables conséquences au niveau des structures urbaines - outre
le fait que les caisses publiques étaient vides et que les collectivités
locales dépendaient de plus en plus d'investisseurs privés. L'exemple de la ville
de Dresde permet de bien illustrer certaines grandes lignes du développement
urbain caractérisant la plupart des villes situées dans les nouveaux Länder. Le centre-ville de Dresde, complètement fragmenté par l'aménagement de places surdimensionnées et de
grands axes, reflétait en 1990 les pratiques architecturales de la
R.D.A.. Il s'agissait de développer un concept qui réponde aussi
bien aux nécessités d'un centre moderne qu'à l'importance historique de la "Florence de l'Elbe" [27] baroque. Tandis que les experts bataillaient encore
pour l'établissement d'un schéma directeur, le centre-ville a connu une
incroyable flambée du prix des terrains, atteignant jusqu'à 20.000
Deutschemarks au mètre carré. Ce niveau élevé des
prix reflète un déficit au niveau des aménagements du secteur tertiaire. En
1990, Dresde comptait par habitant seulement 0,27 m² de commerces au détail
et 2,8 m² de bureaux. En comparaison, les grandes villes de l'ancienne
République fédérale présentaient une moyenne de 1,1 m² de commerces au détail
et 7,0 m² de bureaux par habitant (Meyer/Pütz 1997:
493). Dresde a certes réussi en l'espace de quelques années à combler ce déficit [28], voire même à
surpasser le niveau des anciens Länder en ce qui concerne les surfaces de
bureaux, mais les investissements concernaient essentiellement des quartiers
situés hors du centre-ville, bien que la nouvelle Loi de priorité des investissements [29] (Investitionsvorranggesetz)
permette d'accélérer les procédures relatives aux permis de construire. De
gigantesques centres commerciaux [30] et zones industrielles [31] caractérisent
entre-temps la périphérie des villes est-allemandes. Les centres-villes n'ont
attiré à nouveau l'intérêt des investisseurs privés que lorsque les questions
de droits de propriété et de schémas directeurs urbains ont été réglées. Il
reste à voir si les centres-villes est-allemands arriveront à défier la concurrence des aménagements en dehors
des périmètres urbains (Konkurrenz auf der "grünen
Wiese"). Tandis que des
ensembles architecturaux entiers ont été construits dans les centres-villes,
les vieux quartiers ont fait l'objet d'une prudente rénovation urbaine.
Dresde possède en la "Ville Neuve Extérieure [32]" (Äußere Neustadt), d'une superficie de 74 hectares, l'un
des plus grands quartiers allemands datant de l'époque de l'Empire allemand.
Ce quartier a été déclaré zone de
rénovation [33] dès 1992, pour
pouvoir exercer un contrôle sur les terrains selon les expériences faites en Allemagne de l'Ouest, et réaliser une rénovation socialement acceptable. Mais
des problèmes ont très vite surgi, qui n'ont pu être que partiellement
résolus sur la base des dispositifs ouest-allemands. Les vieux bâtiments
étaient dans un tel état de délabrement, après des décennies d'abandon, que
d'urgentes mesures de sécurité s'imposaient. Mais près de 90 % de ces
bâtiments faisaient l'objet de demandes de restitution. Comme personne ne se
sentait responsable de ces biens immobiliers, ceux-ci ont tout d'abord
continué à se délabrer. Les moyens financiers manquaient généralement, là où
l'on pouvait commencer les travaux de rénovation, les propriétaires
est-allemands disposant rarement du capital nécessaire. Comme les subventions
publiques ne suffisaient pas à seconder tous les travaux, ceux-ci sont de
plus en plus souvent revenus à des investisseurs privés, professionnels de
l'immobilier généralement ouest-allemands. Le gouvernement fédéral a encore
encouragé ce transfert de fortune des nouveaux vers les anciens Länder en
aménageant un certain nombre d'allégements fiscaux. Jusqu'à 1996, il était
possible de déduire des revenus annuels imposables 50 % des sommes investies
dans les nouveaux Länder. Malgré les protestations véhémentes s'élevant
contre la réévaluation des vieux
quartiers, cette évolution n'a pu être stoppée que
très partiellement. Dans la plupart des vieux quartiers situés à la
périphérie des centres-villes est-allemands, les logements sont d'abord
restés inoccupés, après le départ forcé de leurs habitants en raison de
l'augmentation des loyers, puis ont été restaurés en appartements de luxe. Ce phénomène de
détournement de destination initiale de l'espace habité et de délogement de
la population est connu sous le terme de gentrification [34]. La transformation du marché
immobilier représente le troisième nœud de
problèmes relatifs au développement urbain de l'Allemagne de l'Est. Après la
réunification, les logements qui avaient été déclarés propriété publique à
l'époque de la R.D.A. sont revenus aux collectivités locales. Mais ce qui
apparaissait d'abord comme "le cadeau du siècle" s'avère vite être
une très lourde charge : les loyers de la R.D.A. n'avaient jamais couvert les
frais. Seuls des crédits publics permettent de financer la rénovation et la
construction de bâtiments. La Deutsche Kreditbank,
qui succède à la Banque d'État de la R.D.A., perçoit des intérêts sur ces
dettes à partir de 1990. Jusqu'en 1992, le volume des dettes des sociétés
immobilières est-allemandes a atteint près de 51 milliards de Deutschemarks (Borst 1996 : 112). Parallèlement, des millions de
Deutschemarks ont dû être investis dans la rénovation des constructions en
plaques de béton préfabriqué, sans que les loyers est-allemands [35], nettement moins élevés, puissent être relevés au niveau ouest-allemand [36]. Le gouvernement
fédéral s'est efforcé d'atténuer ces problèmes en adoptant, en 1993, la Loi
d'allégement des dettes anciennes (Altschuldenhilfegesetz) [37], qui délestait les sociétés immobilières de la moitié
de leurs dettes à la condition qu'elles revendent en priorité, jusqu'à fin 2003,
15% des logements à leurs locataires. Mais cette mesure n'a pas abouti à l'effet escompté [38] : les locataires
est-allemands se sont montrés peu enclins à devenir propriétaires de leurs
appartements, car ils avaient amassé trop peu de capital, du temps de la
R.D.A., pour pouvoir investir à présent dans des biens fonciers. En outre,
nombreux sont ceux qui ont reculé devant un endettement de longue durée par
peur du chômage. Les quelques rares locataires disposés à devenir
propriétaires ont préféré investir leur capital pour s'acheter leur propre
petit pavillon en banlieue : on assiste ainsi à une très forte vague de sub-urbanisation [39] qui se manifeste dès 1991 en liaison avec l'augmentation de la mobilité spatiale [40] de la population. La privatisation n'a donc pu
s'effectuer que par la vente à des sociétés immobilières privées. Les grandes cités [41] est-allemandes
deviennent de plus en plus des zones urbaines à problèmes [42], à en juger par la progression de la ségrégation
sociale et de la criminalité. Le bilan
de dix ans de développement urbain dans les nouveaux Länder est assez mitigé.
D'un côté, nombre d'anciens ouvrages
architecturaux d'importance historique [43] ont retrouvé tout leur éclat, des milliards de
Deutschemarks ont été investis dans la rénovation de logements, des
centres-villes laissés à l'abandon se sont transformés en pôles d'attraction
urbains. D'un autre côté, les structures des lieux centraux ont été
déplacées, la ségrégation sociale s'est aggravée, les vestiges architecturaux
du passé socialiste ont été rasés, on a assisté à un phénomène de concentration de la propriété foncière,
détenue par les professionnels de l'immobilier. Les collectivités locales et
leurs citoyens réussiront-ils à affirmer de nouveau cette conscience de soi
qui forme la base de tout développement urbain durable ? [1] http://www.chronik-der-wende.de/ |
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